MARC - Médiation Agglomération Réseau Culture

La médiation culturelle, c’est quoi ?

8 mai, 2012Conférence

« La médiation culturelle, c’est quoi ? Des manières actuelles de renouveler le contact entre l’œuvre et le public, des projets participatifs, de l’événementiel vers le structurant… »

 

Personnalité intervenante : Catherine BLONDEAU

Rencontre avec Catherine Blondeau le 14 décembre 2010 au Cabaret Electric -Le Havre – de 18h à 20h

Catherine Blondeau était alors maître de conférences en littérature à l’université de Rouen, directrice du master Développement des publics de la culture, conseillère artistique pour le festival Automne en Normandie et programmatrice de La Grande Veillée pour ce festival. Depuis, elle a pris la direction du Grand T à Nantes. 

Synthèse des débats par Florence Gamblin

Que retenir de cette soirée, riche en échanges, et de la générosité de Catherine Blondeau dans le partage de son expérience ? Je tente cette synthèse en cinq points, forcément subjective puisque je n’ai pas pris de notes, animant les débats avec notre invitée et Rozenn Le Bris.
Téléchargez la synthèse

1/ Qui suis-je comme médiateur-trice ? 

J’ai été frappée par l’introduction de Catherine Blondeau, qui a précisé d’emblée que son regard sur la médiation était marqué par sa position personnelle. Elle « vient des œuvres » (littéraires et spectaculaires), est une pédagogue et une professionnelle de la conception de projets culturels, particulièrement dans le domaine du spectacle vivant (direction de centres culturels français à l’étranger, secrétariat général d’un festival). Rappeler « d’où on parle  » tient aujourd’hui du réflexe mais il est sans doute particulièrement intéressant pour le médiateur culturel de ne jamais oublier « qui il est » et « à qui il s’adresse » (je paraphrase ici Armand Gatti, qui dit tenir cette ligne directrice de Mao lui-même et qui lance cette invitation à tous ceux qui se lancent avec lui dans la création d’un spectacle).

Une question essentielle est posée indirectement : existerait-t-il autant de médiations culturelles que de champs artistiques ? Peut-on agir de la même façon quand on est médiateur culturel dans un musée ou dans un théâtre ? Catherine Blondeau rappelle par exemple que la question de l’artiste médiateur se pose particulièrement dans le spectacle vivant (ou plutôt ne se pose pas, l’artiste y étant souvent considéré comme le seul médiateur légitime. NDR).

 

2/ Le caractère problématique de la définition du terme « médiation culturelle » et l’inscription de ce terme dans un réseau complexe 

Selon Catherine Blondeau, on peut définir la médiation culturelles selon plusieurs entrées :

  • l’entrée politiques culturelles la médiation culturelle est liée à la démocratisation culturelle ». Laquelle a fortement évolué depuis la fondation du ministère de la culture en 1959. Interroger la démocratisation culturelle aujourd’hui conduit à travailler de nombreux concepts -dont certains en constante évolution/extension comme celui de culture -qui interfèrent tous avec le projet fondateur : démocratie culturelle, action culturelle, développement culturel, éducation artistique et culturelle, animation socioculturelle, diversité culturelle, droits culturels… (Cf. les deux articles portés à la connaissance du public par Catherine Blondeau)
  • L’entrée par le mot médiation lui-même, et ce qu’il évoque, en lien avec ses premiers contextes d’utilisation : médiateur de la République, médiateur de quartier…
  • L’entrée étymologique : le médiateur comme intermédiaire. Le médiateur culturel est-il seulement un intermédiaire entre les œuvres et les publics ? N’est-ce pas plutôt celui qui crée les conditions d’une relation à l’œuvre ?
  • L’entrée métier : « il y a eu une forte professionnalisation du milieu culturel depuis les années 1980 ». « La médiation culturelle est considérée comme une activité professionnelle nécessitant des compétences particulières et donc une formation spécifique ». Mais il faut reconnaître que, paradoxalement, le métier de médiateur culturel reste mal défini et fragile, malgré la multiplication des formations à Bac + 5 y préparant.

 


1 WALLON E., « La culture : quelle(s) acception(s) ? Quelle démocratisation ?, dans Les Cahiers français, n° 348, janvier-février 2009, p.79-86 SAEZ J-P., « La culture, une question politique, une affaire de société », introduction à Culture et société : un lien à recomposer, éd. de l’Attribut, Toulouse, 2008, p. 10-21

 

 

3/ Que tirer de positif de cette période de remise en cause systématique de la démocratisation culturelle ? 

L’échec supposé de la démocratisation culturelle ne cesse d’être mis en avant. Catherine Blondeau trouve qu’il y a quelque chose d’intéressant à retirer de cette période de crise du modèle : « le retour aux fondamentaux de l’action culturelle publique », à savoir le diptyque œuvre/public. Plus que jamais, il y a « obligation de réussir la mise en relation entre les œuvres et les publics car de l’énergie et de l’argent publics y sont dépensés ». Elle constate une évolution chez les artistes, qui s’engagent davantage dans les processus de médiation, qui se posent plus fréquemment la question du public dans la création. Ce qui n’est plus acceptable aujourd’hui, c’est « l’entre-soi », c’est sortir au spectacle et voir toujours les mêmes personnes dans la salle.

 

4/ Les leçons à tirer de l’expérience de La Grande Veillée 

  •  Le principe de la Grande Veillée :
      • investir une ville2 ou un quartier, le temps d’une journée et d’une nuit, pour la Fête des morts.
      • Transformer plusieurs sites en théâtres éphémères.
      • Inviter la population à fêter la Toussaint d’une manière inédite : en assistant à des représentations théâtrales, chorégraphiques ou pyrotechniques, en extérieur ou dans des endroits inhabituels, en participant à des déambulations, à des visites de lieux  » hantés  » ou « « habités « , en se déguisant, en jouant de la musique, en s’impliquant dans des spectacles, des bals…
  • La programmation est elle-même pensée comme un acte de médiation. Tout ce qui peut faire obstacle à la rencontre avec l’œuvre d’art est gommé : pas de lieu institutionnel intimidant, gratuité de la plupart des propositions ou faible coût, invitation à participer à la programmation (spectacles amateurs, déambulations, bals…), possibilité d’aller et venir ou de se laisser « cueillir » par les propositions rencontrées sur son chemin…
  • Un exemple de complémentarité entre la logique événementielle et la logique structurante (l’action sur la saison et le long terme) : l’événementiel (ici un festival d’un jour et d’une nuit à l’intérieur un festival d’un mois) se tricote avec du structurant (un lien fort avec le territoire, un important travail en amont avec des relais). Le projet de médiation porté par le structurant et inscrit dans la durée est complété par le projet ponctuel, qui apporte sa dimension festive et le caractère extra-ordinaire de l’événement unique. Le décalage et le côté transgressif jouent encore plus ici à cause de la thématique : fêter la mort, le grand tabou de notre société.

 


2 Le Havre en 2008, Louviers en 2009, Rouen en 2010, Fécamp en 2011.

 

 

  • L’événement s’amuse en effet à conjuguer toute une série de  » handicaps « , qui deviennent des atouts (le côté défi ?) :
      • un sujet apparemment grave et qui fait peur, la mort, mais qui a une portée universelle ;
      • un investissement de l’espace public quand il fait froid et humide à coup sûr (fin octobre en Normandie).
  • Autres caractéristiques de cette programmation-médiation :
      • une mixité des propositions artistiques (diversité des champs artistiques, artistes amateurs et professionnels, locaux et internationaux) et des publics (des publics experts aux publics populaires, grâce notamment à l’utilisation de l’espace public et à l’invitation à réinvestir une fête dans un temps de vacances, un temps familial).

 

Pour aller plus loin sur La Grande Veillée 

 

Texte de présentation de l’édition 2009 à Louviers (source : site Internet de la Scène nationale Evreux-Louviers, Archives saison 2009-2010 http://www.scene-nationale-evreuxlouviers.fr/La-Grande-Veillee.html) : Entre méditation, humour macabre et émotion, la Grande veillée vous propose d’emmener vos enfants voir un spectacle de marionnettes, de découvrir la dernière création de Mathilde Monnier, d’entendre parler les morts au Manège de Tilly, et de finir en beauté par un bal des vampires à l’Abordage… Beaucoup d’autres surprises vous attendent, auxquelles nous mettons la dernière main avec tous les partenaires de la ville, la Scène nationale Evreux Louviers, les habitants et les artistes amateurs qui ont bien voulu s’associer au projet. Et n’oubliez pas notre devise : la mort, c’est la vie ! 

 

Extrait d’un article paru le lundi 29 septembre 2008 sur le site Internet de Bazart – Normandie Web (http://www.normandie-web.com/magazine/actu/861-festival-automne-ennormandie-la-grande-veillee-la-nuit-des-morts-et-des-vivants )

Le 1er novembre, le festival Automne en Normandie revisite de manière décalée une fête des morts tombée dans l’oubli. A l’occasion de cette veillée-marathon, artistes internationaux et amateurs proposent des festivités autour de la mémoire des morts avec, comme terrain de jeu, le quartier Saint-François au Havre. 

(…) Benoît André, directeur du festival, et Catherine Blondeau, co-programmatrice de cette Veillée, reviennent sur la réflexion qui a précédé le projet. « Cette fête n’est quasiment plus célébrée en Occident alors que dans des traditions extra-européennes, la mort peut faire l’objet d’une fête joyeuse, positive. Et plus généralement, on a tendance à évacuer la question de la mort, contrairement aux artistes, qui osent s’y confronter dans leur travail. L’idée consistait donc à montrer ce que l’on ne montre plus trop dans nos sociétés, et ce, de la manière la plus large possible en associant des artistes de différentes disciplines, de différents horizons, professionnels de renommée internationale et amateurs, avec des propositions qui font référence à des temps passés et présents. » 

La Grande Veillée, le 1-11, de 14h à 2h, au Havre. Spectacles gratuits et payants Automne en Normandie, du 19-10 au 30-11, dans une trentaine de lieux en Haute-Normandie 

 

Téléchargez la synthèse de la rencontre avec Catherine Blondeau : La médiation culturelle, c’est quoi ?